Une histoire de vielle à roue
Dossier tiré du Tambourineur n°74 paru en 1988 sous la direction de Roland DELASSUS (par ailleurs rédacteur en chef de Trad’Magazine) sur l’histoire, la lutherie (par Jean Jacques REVILLION) et l’organologie (par Patrick DELAVAL) de la vielle à roue.
SOMMAIRE Histoire
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La vielle à roue m’a souvent fait l’impression d’avoir été amenée sur terre par des extraterrestres. Serait-ce à cause de sa forme de vaisseau spatial ? Un certain mystère entoure cet instrument qui de toute évidence se situe à part, comme instrument de musique, tant par l’originalité de son mode de production sonore que par son étrange destinée qui a oscillé entre les couches les plus diverses de la société française, de la cour des miracles à la cour de Louis XV, avec de temps en temps, semble-t-il, une solide implantation en milieu rural paysan où on l’a retrouvée de nos jours. Eh bien, voyageurs, en route : la machine à remonter dans le temps va nous permettre de retracer cet itinéraire historique. Jean Jacques Révillion,
le Tambourineur n°74
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Histoire Par Jean Jacques Révillion
Les plus anciennes sources disponibles actuellement datent du début du Xème siècle.
Un traité attribué à l’abbé ODON de Cluny décrit l’organistrum : la vielle à roue, à cette époque, apparaît liée au milieu religieux. Elle sert dans les églises et les monastères à accompagner le chant liturgique selon le type de polyphonie de l’époque, à 2 ou 3 voix parallèles.
Les représentations connues (en générales, sculptures aux portails d’églises) nous montrent un instrument de grande taille joué par deux musiciens, l’un actionnant la roue et l’autre jouant la mélodie sur le clavier.
Supplantée au XIIème siècle. C’est apparemment durant ces années sombres qu’elle passe dans la tradition populaire paysanne, comme en témoignent les œuvres de Jérôme BOSCH (XVéme siècle), de Pieter BRUEGHEL l’ancien (XVIème siècle), de TENIERS (début du XVIIème siècle) qui nous la montre en bonne place dans les réjouissances villageoises. Elle s’y maintiendra jusqu’à notre époque. siècle dans le rôle liturgique par l’orgue, on la voit alors devenir instrument des marginaux, ménestrels ambulants, mendiants, aveugles… Elle devient un instrument méprisé et sa disgrâce durera jusqu’au XVIIème.
Au XVIIème siècle, la situation « sociale » de la vielle n’est gère brillante. Écoutons le constat posé par deux spécialistes de l’époque : «Elle est maniée par des idiots et des pauvre mendiants, la plupart desquels sont aveugles » nous dit Pierre TRICHET, dans son traité des instruments de musique en 1640. Le père MERSENNE, en 1636, exprime l’opinion suivante : « si les hommes de condition touchaient ordinairement la sinfonie que l’on nomme vielle, elle ne serait pas si méprisée qu ‘elle est, mais parce qu ‘elle est touchée par les pauvres, et particulièrement les aveugles, qui gagnent leur vie avec cet instrument, l’on en fait moins de cas que les autres »
Puis vient le XVIIIème siècle, âge d’or de la vielle à roue, qui voit une véritable mode pour cet instrument devenant l ‘apanage de la noblesse. Sans aucun doute, elle profitera du goût de l’époque pour la bergerie et le rustique. La vogue fut telle qu’un luthier de Versailles nommé ; BATON, pour faire face à la demande, transforma des guitares et des luths, se servant du corps de ces instruments pour faire des vielles. La lutherie de l’époque nous a laissé de véritables œuvres d’art, crées pour les nobles dames de la cour de Louis XV. Il faut dire que la lutherie de l’époque, y compris pour les autres instruments, est considérée comme un sommet de ce qui peut se faire en ce domaine. Vers la fin de ce siècle, la vielle va s’encanailler de nouveau pour devenir instrument des guinguettes de boulevards, au mains de dames de réputation douteuse, comme « Fanchon la vielleuse ». Son personnage, qui a réellement existé (Elle s’appelait Françoise Chemin), a contribué à faire connaître la vielle à la population parisienne. Elle inspirera de nombreuses pièces de théâtre dans le style vaudeville. Le XVIIIème siècle nous a laissé un autre témoignage assez poignant sur la pratique de l’instrument avec les petits savoyards qui quittaient leurs familles pour aller gagner leur pain sur les routes de France en jouant de la vielle et en faisant danser une marmotte des alpes. De nombreux tableaux nous montrent un frère et une sœur partant sur la route…
Le XIXème siècle apparaît comme celui de la vielle à roue de tradition régionale, avec son utilisation en Auvergne, Bourbonnais, Savoie, Bresse, Normandie, Bretagne, Landes… Elle participe largement auprès des instruments traditionnels de ces régions, aux festivités et mariages campagnards. Le Berry verra en 1888 la création d’une société de sonneurs « Les gars du Berry », fondée par Edmond Augros et Jean Baffier. Des concours sont organsés pour témoigner de cette popularité. On voit l’expansion des centres de lutherie régionale, comme à Jenzat, dans l’Allier, avec des noms comme Pajot, Nigout, Tixier comme à Mirecourt, dans les Vosges, avec Thouvenel, et aussi en Bresse, en Calvados, avec des productions, il faut le reconnaître, plus limitées. A Jenzat, cette production se poursuivra au XXème siècle pour s’éteindre, avec un autre Pajot, vers le milieu de ce siècle.
Le XXème siècle apparaît en effet comme celui de l’extinction progressive de la pratique de cet instrument. Les musiciens ruraux arrêteront peu à peu à sonner, avec cependant un bastion qui reste vivace … en Berry, à partir duquel renaitra l’instrument à l’occasion de la mode « folk » des années 70 – car c’est encore une mode (comme au XVIIIème siècle) qui va arracher l’instrument à l’oubli, et permettre une renaissance autant de la pratique musicale que de la lutherie. Maintenant que le phénomène mode paraît passé, il nous reste un bon nombre d’instrumentistes qui ont remis au goût du jour la musique traditionnelle, mais aussi classique, et ont fait sortir la vielle à roue des étals de marchands de saucisson d’Auvergne où elle servait à faire du bruit pour attirer la clientèle. Pourra-t-elle pour autant retrouver une place d’instrument de musique « comme les autres », ou restera-t-elle condamnée à être attachée à l’image du terroir ? Pour l’instant, sa pratique reste quand même limitée au mouvement des musiques traditionnelles. L’avenir nous réserve-t-il encore des surprises ? Sans doute, car ces dernières années ont vu apparaître des vielles synthétiseurs.
Organologie Par Patrick Delaval
Principes de fonctionnement
La vielle à roue est une vièle équipée d’une roue. Ça paraît évident. Et pourtant, il y a vielle et vièle. Cette dernière, avec un seul « L », est un terme générique désignant en musique tout instrument dont les cordes sont frottées avec un archet. Mais si d’aventure on désire obtenir un son continu, et de frotter toutes les cordes à la fois, alors comment faire pour trouver un archet circulaire ?
L’astuce est d’avoir remplacé cet archet par une roue en bois, qui frotte les cordes non plus par dessus, mais par dessous ! Du « jamais vu ». En plus, comme le nombre de cordes mélodiques augmente, les quatre doigts de la main gauche qui touchaient les cordes, ne suffisaient plus. Alors on va installer un clavier, dans lequel des pièces de bois coulissantes toucheront plusieurs cordes à la fois. C’est tout simple !
Bien sûr, il subsistera des exceptions : la STROHFIDDEL était, au XVIIème siècle, une vielle à roue sans clavier tandis qu’aujourd’hui, le NYCKELHARPA suédois a bien un clavier mais pas de roue.
Néanmoins, de l’organistrum du X-XIIème siècle aux vielles électroniques actuelles, cet instrument continuera d’évoluer en respectant ce double principe mécanique qui fait que les deux mains ne sont plus en contact avec les cordes que par l’intermédiaire du bois, du métal, du cuir, du coton, etc…
Ces deux principes de fonctionnement impliquent, on s’en doute, une grande complexité de construction.
La caisse de résonance
La caisse de résonance doit être solidement construite de façon à recevoir la pression des trois chevalets et la les vielles tension des six cordes. Elle doit malgré tout conserver ses qualités sonores. En France, au XVIIIème siècle, les caisses furent fabriquées à partir d’éléments de guitares et de luths (« caisses luth » ou « caisses rondes »), et cette esthétique s’est maintenue à travers tout le XIXème et le XXème siècle (alors qu’elles avaient jusque là été « plates », comme elles le resteront d’ailleurs dans certaines régions, notamment en Vendée). Ailleurs, les vielles allemandes, hongroises, slovaques, flamandes, les hurdy-gurdies anglaises, etc… ont conservé leurs caractéristiques traditionnelles, c’est à dire robustesse et simplicité, alliées à une esthétique populaire souvent inchangée depuis plusieurs siècles.
Le clavier
Le clavier, autrefois diatonique , dispose aujourd’hui de tous les demi-tons sur deux octaves. Chaque touche coulisse sous la pression du doigt et ce sont les sautereaux, fichés dans ces touches, qui viennent toucher les chanterelles . En position de jeu, l’inclinaison de l’instrument fait que les touches reprennent d’elles mêmes, en glissant, leur emplacement de départ.
La roue
La roue est en bois, montée sur un axe qu’entraîne la manivelle. Elle doit être parfaitement circulaire et sa construction implique qu’elle ne doit pas se voiler. Elle est enduite de colophane pour mieux adhérer aux cordes. À l’endroit du frottement, on entortille autour de ces dernières un peu de coton, pour éviter qu’elles ne s’usent trop rapidement.
Le son
La vielle à roue est un instrument puissant. Deux chanterelles (parfois trois) et la plupart du temps quatre bourdons. Sur certains modèles, des cordes sympathiques viennent encore renforcer la puissance, en vibrant par sympathie (c’est à dire sans être touchées par la roue). Enfin, l’un des bourdons, appelé la trompette, repose sur un petit chevalet mobile, le chien, qui se met à vibrer lors d’une accélération de la roue (inspiré du système de la trompette marine)
On peut donc affirmer que cet instrument possède à la fois la mélodies, l’accompagnement et le rythme.
La vielle à roue ne s’est pas arrêtée à l’instrument portatif que nous connaissons. L’ « orphéon » (voir Diderot 1785) était un instrument sur pieds, équipé d’un petit clavier semblable à ceux des clavecins quant au « geigenwerk », on peut le comparer à un espèce de clavecin pour l’aspect extérieur, mais faire sonner toutes les cordes nécessitait quatre roues.
Lutherie
Les anciens
Du XVIII au début du XXème siècle, nombre de facteurs de vielles ont laissé leur marque sur ces instruments retrouvés par la suite. Certains de ces instruments ont subi les attaques du temps et ne sont plus jouables, mais d’autres ont très bien résisté au temps et aux milliers de coups de poignet qui leur ont été assénés par plusieurs générations de vielleux. On en retrouve encore aujourd’hui aux mains des actuels « virtuoses » de l’ instrument. Dans la liste des anciens facteurs cités ici, on remarquera de nombreux liens de parenté (on pourrait presque en faire un jeu de sept familles !) : « dans la famille LOUVET, je demande Michel, Georges, Jean et Pierre ! », DELAUNAY, BERGE, l’impressionnante « dynastie » des PAJOT : Jean, Gilbert, Jean-Baptiste, Jacques-Antoine, le deuxième Jean-Baptiste, le deuxième Jacques-Antoine, Joseph et Jacques PIMPART, Gilbert NIGOUT, Pierre TISSIER, Nicolas COLSON et son fils Aimable, Guillemin et Henry THOUVENEL, Jacques DECANTE, Jean Baptiste et son fils Henri CAILHE, les POUGET père et fils…
Les facteurs actuels
La continuité du jeu de vielle dans les groupes folkloriques depuis le début du siècle (la société des « Gars du Berry » a été fondé en 1888 !) et surtout la mode folk des années 70 ont contribué à maintenir puis à recréer une lutherie d’instruments traditionnels. Les Rencontres Internationales de Luthiers et de Maîtres Sonneurs de St Chartier dans l’Indre ont servi de banc d’essai pour un grand nombre de nouveaux luthiers dont certains ont vite disparus, laissant place aux meilleurs sinon aux plus tenaces !
Lexique
Diatonique
Un clavier diatonique est un clavier qui fonctionne par demi-tons et tons consécutifs, en général en respectant la gamme majeure (Ex : DO RE MI FA SOL LA SI DO). Il s’oppose au système chromatique qui évolue par demi-tons (DO, DO#,RE RE#, MI, FA, FA#, etc)
Chanterelle
Les cordes mélodiques de la vielle sur lesquelles les sautereaux viennent taper.
Colophane
La colophane est une résineque l’on applique sur la roue pourqu’elle frotte mieux sur les cordes. Elle sert également au violon pour les cordes et l’archet.
Documentation
Bibliographie
- Le tambourineurn°74 (1988…)
- Trad Magazine n° 90 (Juillet/Août 2003) En-quête d’instruments : vielle à roue
- Gigue n°4-5 spécial vielle (1973 !)
- Vielles à roue, Territoires illimités, chez Modal
- La vielle et les luthiers de Jenzat de Jean-François CHASSAING
- Pratique du jeu de vielle en Centre-France de Maxou HEINTZEN, chez Amta
Discographie
- Vielleux du Bourbonnais (Bernard et Jean-Claude BLANC et Frédéric PARIS), disque hexagone
- Vielleux du Bourbonnais, coup de 4 (avec Patrick BOUFFARD). Auvidis AV 4516
- Transept (Patrick BOUFFARD), Modal Mpj 111017
- En Bal (Trio Patrick BOUFFARD), Modal Mpj 111032
- Rabaterie (Trio Patrick BOUFFARD), Modal Mpj 111030
- Bleu Nuit (Gilles CHABENAT), AMTA/Ocora 559046
- Le Traité des Songes (Gilles CHABENAT), Modal mpj 111025
- Trio DCA, Modal Mpj 111026
- Bateau Dore (La Chavannée), Modal mpj 111003
- Rue du fief (La Piposa, avec Marie-Chantal et Françoise!)
Liens
- http://www.perso.wanadoo.fr/xaime/vielle.html Petite encyclopédie de la vielle à roue – cours, historique, lutherie …
- Sons et couleurs : la vielle à roue
Sorties
- Musée des musiques populaires de Montluçon anciennement Musée de la vielle de Montluçon
- Rencontres Internationales de Luthiers et de Maîtres Sonneurs de St Chartier
- Fête de la vielle à Anost (Morvan)